Le chevalier à l'armure rouillée (2/2) : je ne veux pas rester seul ici... (05/10/2024)

Tout d’un coup il fut surpris par le son d’une voix familière derrière lui.

« Bonjour, Chevalier. »

Ce dernier se retourna et, stupéfait, vit le roi s’approcher de lui depuis l’autre bout de la pièce.

« Sire ! Dit-il le souffle coupé. Je ne vous avais pas vu. Que faites-vous ici ?

- La même chose que toi, Chevalier, je cherche la porte. »

Le Chevalier regarda de nouveau autour de lui. « Je n’en vois aucun.

- On ne peut par voir tant qu’on n’a pas compris, dit le roi. Quand tu auras compris ce qu’il y a dans cette pièce, tu verras la porte menant à la suivante.

- J’espère vraiment qu’il en est ainsi, dit le chevalier. Je suis surpris de vous voir ici. On m’avait dit que vous étiez parti en croisade

- C’est le mot que j’emploie chaque fois que je pars sur le chemin de la vérité, explique le roi. Mes sujets comprennent mieux. »

Le chevalier le regarda d’un air intrigué.

« Tous les gens savent ce qu’est une croisade, dit le roi, mais très peu savent ce qu’est la vérité.

- C’est exact, reconnut le chevalier. Je ne serais d’ailleurs pas sur ce chemin si je n’étais pas prisonnier de cette armure.

- Nous sommes presque tous prisonniers d’une armure, déclara le roi.

- Que voulez-vous dire, Sire ? demanda le chevalier.

- Nous dressons des barrières pour protéger ce que nous pensons être. Puis, un jour, nous nous retrouvons coincés derrière ces barrières et n’arrivons plus à en sortir.

- Je n’aurais jamais cru que vous puissiez être coincé, Sire. Vous êtes si sage », dit le chevalier.

Le roi lui sourit d’un air désabusé. « J’ai suffisamment de sagesse pour me rendre compte que je suis coincé et revenir ici en apprendre davantage sur moi-même. »

Le chevalier, croyant que le roi lui montrerait le chemin, reprenait courage. « Dites-moi, Sire, dit-il en rougissant, nous pourrions peut-être traverser le château ensemble ? Ainsi, nous serions moins seuls. »

Le roi secoua la tête. « J’ai déjà essayé. Il est que vrai que mes compagnons et moi nous nous sentions moins seuls, puisque nous parlions sans arrêt ; mais quand on parle, on n’arrive pas à trouver la sortie de cette pièce.

- Peut-être pourrions-nous simplement marcher ensemble, sans parler », suggéra le chevalier.

Il n’avait pas très envie d’erre tout seul dans le Château du Silence.

Le roi secoua à nouveau la tête, plus vigoureusement cette fois. « J’ai aussi essayé. Le vide était moins pénible, mais je ne voyais pas non plus la porte ».

Le chevalier protesta. « Mais si nous ne parlions pas…

- Être silencieux vaut mieux que de ne pas parler, dit le roi. Je me suis rendu compte que quand j’étais avec quelqu’un, je ne montrais que ma plus belle image. Je ne laissais pas tomber mes barrières et ne permettais ni à moi-même, ni à l’autre, de voir ce que j’essayais de cacher.

- Je ne saisis pas très bien, dit le chevalier

- Cela viendra, dit le roi, lorsque tu seras resté suffisamment longtemps ici. Il faut être seul pour déposer son armure. »

Le chevalier était désespéré. « Je ne veux pas rester seul ici ! ». s’exclama-t-il en frappant énergiquement le sol de son pied, qu’il posa par inadvertance sur le gros orteil du roi.

Celui-ci, hurlant de douleur, claudiqua à travers la pièce. Le chevalier fut horrifié. Déjà le forgeron, maintenant le roi ! « Je suis désolé, Sire », dit-il en guise d’excuse.

Le roi caressait doucement son gros orteil. « Oh, ce n’est rien. Cette armure te fait plus de mal qu’elle ne m’en fait. » Puis, en se redressant, il regarda le chevalier d’un air entendu. « Je comprends que tu n’aies pas envie de rester seul dans ce château. Moi non plus je n’en avais pas envie la première fois que je suis venu, mais maintenant je sais que ce qu’on doit faire ici, on doit le faire seul. »

Sur ces mots, il traversa la pièce en boitant, puis ajouta : « Il faut que je m’en aille maintenant ».

Perplexe, le chevalier lui demanda : « Où allez-vous ? La porte est là.

- Cette porte n’est qu’une entrée. Celle qui te permet de passer dans la pièce suivante est sur le mur d’en face. J’avais fini par la voir juste au moment où tu es entré, dit le roi.

- Que voulez-vous dire par j’avais fini par la voir ? Vous oubliez donc, d’une fois à l’autre, où elle se situe ? » demanda le chevalier, tout en se posant des questions. Pourquoi le roi se compliquait-il la vie à revenir sans cesse dans ce château ?

« On n’a jamais fini de parcourir le Chemin de la Vérité. Chaque fois que je viens ici, je découvre de nouvelles portes, au fur et à mesure que je comprends de nouvelles choses. » Le roi lui fit un signe de la main.

« Sois bon avec toi-même ami.

- Attendez ! S’il vous plaît ! » appela le chevalier.

Le roi tourna la tête pour le regarder avec compassion.

« Oui ? »

Le chevalier savait qu’il ne pourrait infléchir la décision du roi. « Y-a-t-il un conseil que vous puissiez me donner avant de partir ? »

Le roi réfléchit un instant, puis répondit : « C’est là un nouveau genre de croisade pour toi, cher Chevalier, une croisade qui demande davantage de courage que toutes les autres batailles que tu as livrées jusque-là. Si tu trouves la force de rester pour accomplir ce que tu dois faire ici, ce sera ta plus grande victoire. »

Là-dessus, le roi se retourna, tendit la main comme pour ouvrir une porte, puis s’effaça dans le mur, laissant le chevalier qui n’en croyait pas ses yeux.

Le chevalier se précipita à sa suite, espérant que de près il distinguerait lui aussi la porte. Comme il ne trouva qu’un mur apparemment bien solide, il entreprit le tour de la pièce. Tout ce qu’il entendait était le bruit de son armure résonnant à travers le château.

Au bout d’un moment, il se sentit plus déprimé qu’il ne l’avait jamais été dans sa vie. Pour se remonter le moral, il se mit à chanter des chants guerriers stimulants : « Je viendrai te chercher pour une croisade, chérie » et « Je suis chez moi partout où je suspends mon heaume ». Il les chanta et les rechanta.

Sa voix finit par se fatiguer, le silence couvrit sont chant et l’enveloppa d’un calme absolu, accablant. Au bout d’un moment, le chevalier dut s’avouer franchement une chose qu’il ignorait jusque-là : il avait peur de la solitude.

Il aperçut alors une porte dans le mur d’en face…

Crédit photo : unsplash©malte-schmidt

Le chevalier à l’armure rouillée, Robert Fisher, Ambre Edition pour la première version française, 2006, Suisse, p.60-67


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