On m’appelle Tristan, j’ai trois cent ans... (02/03/2025)

 
« On m’appelle Tristan, j’ai trois cent ans et j’ai connu toute la gamme des émotions humaines. Je suis tombé au lever du jour. Une nouvelle vie commence pour moi…
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La voiture s’est arrêtée devant la boite aux lettres. Georges Lannes jaillit d’un bond, pousse le vieux portail gonflé par la pluie, et se précipite vers moi.
- Tristan !
Son appel déchirant résonne parmi les cris de corbeaux et les gloussements de faisans.
C’est n’est pas vrai, non… Ce n’est pas possible !
Son pas ralentit, ses larmes jaillissent, ses genoux touchent le sol. Il étreint mes branches.
- Tristan…
Sa voix n’est plus qu’un sanglot répétant ces deux syllabes en saccade. C’est la mère de ses enfants qui nous avait donné jadis ces noms humains, Tristan et Isolde. Des amoureux de légende qui vivent enfin leur amour dans la mort. Pour l’instant, la référence produit autant d’effet que lorsqu’on m’avait baptisé « Le Tronc de la Sainte Vierge » ou « L’Arbre de la justice ». Quand Georges Lannes prononce « Tristan », je ne vois que moi dans sa voix. Je perçois son état d’esprit, par les vibrations associées au prénom.
Sa femme le rejoint, l’aider à se relever. Il hoquette :
- Pourquoi ? Pourquoi ?
Il y a tant de questions dans ce mot. Pourquoi moi, pourquoi aujourd’hui, pourquoi en son absence, pourquoi de son vivant ?
- Appelle le jardinier, Hélène, on va le redresser, le replanter, on va le sauver…
- On ne peut pas, Georges, calme-toi. Regarde : il n’a plus qu’une racine, le tronc est cassé à la base. Et toutes ses belles branches sont brisées…
[…]
- Viens Georges ne reste pas là. Il fait froid, il faut que tu te reposes…
Il le laisse faire, pantelant, courbé, vieux géant rétréci par le chagrin. Elle l’entraîne dans la chaumière.
Et je reste seul avec ce qu’il éprouve. Sa révolte, son impuissance, sa détresse, son sentiment d’abandon.
Je l’ai laissé tomber.
Didier Van Cauvelaert, Le journal intime d’un arbre.
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Tristan n’a pas poussé au cœur d’une forêt. Il a poussé dans un jardin. Il n’en demeurait pas moins arbre. J’aime la personnification de ce vieux sage racontée par l’auteur. Alors soit, c’est un passage triste de cet ouvrage, le moment ou le propriétaire retrouve son arbre définitivement couché au sol. Mais l’idée qui m’en demeure est que l’arbre est un organisme vivant qui sait nous toucher, avec lequel nous pouvons développer une relation sinon intime, tout au moins sensible, une relation de cœur.
Prenons soin de tous nos arbres, en villes, autour de nos maisons, comme ceux de nos forêts.
Allons à la rencontre de ceux des forêts des rando relax avec cette intention - qui ne se veut ni ésotérique, ni mystique - de rencontre d’espèces vivantes remarquables étirées vers le ciel et profondément enracinés en terre, aux cœurs desquelles circulent avec force, la vie.

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